Conte de Noël : Le faire-part de naissance
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« Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe : voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (c’est-à-dire Dieu parmi nous)

Dieu reposa sa plume après l’avoir soigneusement essuyée sur un nuage : oui, il était vraiment satisfait de son travail. Aussitôt, il rassembla tous ses anges et ses prophètes :
« Chers prophètes, depuis plus de 4000 ans, vous le promettiez, vous les prophètes, depuis plus de 4000 ans, nous attendions cet heureux temps : eh bien, je peux aujourd’hui vous le révéler, ce temps est enfin arrivé. Et vous, mes anges, vous allez vite porter ce faire-part à toute la terre, et d’abord au peuple que j’ai choisi pour être le destinataire de cette bonne nouvelle.»

Rapidement, Dieu jeta un dernier regard à son texte : c’était vraiment très bon, mais … :
« Mais ai-je bien pensé à mettre dans le coup les parents que j’ai choisis pour mon fils ? Voyons : la maman, Marie…, c’est bon, l’ange Gabriel s’en est occupé. Le papa, Joseph… ? Zut, on l’a oublié. Ne bougez pas mes anges, c’est MOI qui vais m’en occuper PERSONNELLEMENT. Un papa, c’est important. Et puis c’est grâce à ce Joseph que mon fils entre dans la prestigieuse descendance du Roi David. Allez mes petits anges, partez vite porter cette bonne nouvelle : mon Fils est né, il vient parmi nous. Emmanuel : Dieu parmi nous, Joyeux Noël à tous ! »

Aussitôt, dans un grand frou-frou d’ailes, la nuée des anges s’égaya vers la terre.

Jérusalem – palais du roi – 25 décembre – 0h05

« Roi Hérode, nous sommes les anges du Seigneur et nous vous annonçons une grande nouvelle : un sauveur vous est né. Le messie vient parmi nous… »
Hérode sursauta :
« Le messie ? Mais, messie, ça veut dire Roi. Et le Roi, c’est moi. On veut donc me renverser ? Oh je ne me laisserai pas faire…. Euh, où est-il votre messie…, pour que j’aille lui rendre mon hommage ? »

Les anges se méfièrent, que voulait au juste Hérode ? Et ils bredouillèrent :
« On ne sait pas très bien, c’est écrit dans des livres, demandez à vos prêtres. »
Et ils décampèrent rapidement sans demander leur reste tandis qu’Hérode grommelait : « il va falloir surveiller cela. Si messie il y a, cela ne se passera pas comme ça, je veux le voir et alors … »

Jérusalem – esplanade du Temple – 25 décembre – 0h08

« Oh Grand Prêtre, nous sommes les anges du Seigneur et nous t’apportons une grande nouvelle : un sauveur nous est né, le messie annoncé par les prophètes est parmi nous ».
– Mes enfants, du calme. Nous vivons en paix avec les romains, on ne va pas leur parler d’un messie : pour eux, ce mot sent la révolte. Dieu, que son saint Nom soit béni, nous l’honorons chaque jour dans son Temple ; chaque Sabbat, nous lui offrons nos prières et sacrifices, nous respectons la loi donnée par Moïse, chaque jour dans chaque maison, nous l’invoquons « Ecoute Israël, l’Eternel est notre seul Dieu ». C’est bien comme cela. Allez et que Dieu vous bénisse.

– Euh, oui, shalom, Grand Prêtre, shalom Grand-Prêtre … »

Jérusalem – centre ville – 25 décembre – 0h10

« Fils d’Abraham, salut à toi. Nous sommes les anges du Seigneur et nous t’annonçons une grande nouvelle : le sauveur promis par Dieu nous est donné ; le messie vient de naitre. C’est un petit enfant couché dans une crèche »
– Attendez les petits, vous rigolez ou quoi ? Le Messie, que nous attendons, c’est celui qui viendra nous délivrer des romains, et rétablira la royauté en Israël. Un marmot dans une crèche, vous appelez cela un messie, vous délirez ? Vous me prenez pour qui ? Cela veut dire quoi ?

– Euh, euh, on ne sait pas, on va demander à Dieu de nous expliquer … »

Bethl éem – à l’auberge « au Roi David » – 25 décembre – 0h12

« Aubergiste, votre auberge est pleine, et vous êtes à Bethléem et c’est là que cela se passe : on voudrait vous annoncer, ainsi qu’à tous vos clients, une grande nouvelle : Dieu a envoyé son Fils, le sauveur du monde le messie. Il est ici tout près, petit bébé couché dans une crèche.
– Eh les gamins, je suis super occupé : avec ce foutu recensement, dans mon auberge d’une centaine de places, j’ai là plus de 200 personnes, venant de partout, entassées, fatiguées et en plus affamées. Alors je n’ai pas le temps d’écouter vos balivernes. Le messie, un bébé couché dans une crèche ? Tout ce que j’ai vu, c’est hier soir, un jeune couple un peu paumé, la femme enceinte jusqu’aux dents. J’ai demandé à mon cousin Jacob de les conduire dans un coin tranquille, il leur a trouvé une étable et voilà. Allez, du balai !

– Bon,… au-revoir Monsieur l’aubergiste …. »

Paradis – 25 décembre – 0h30

Presque tous les anges étaient maintenant remontés et n‘en menaient pas large, car Dieu n’était pas content, mais pas content du tout !
« C’est quoi, ce travail, les prophètes ? Vos prophéties, parlons-en ! Mon Fils, personne ne l’attend. Isaïe, ta phrase que j’ai reprise sur mon faire-part, apparemment, elle ne suffit pas. Et toi, Jérémie, tes lamentations, elles ne font guère bouger les foules. Et toi Ezéchiel, toujours super-intello, c’est peut- être bien ce que tu dis, mais as-tu seulement pensé à annoncer la venue de mon Fils ? Quant à vous, tous les petits prophètes, vous avez certes dit à tous qu’il fallait être attentifs aux pauvres, partager, s’entraider : bien, bien tout ça. J’ai aussi lu quelque part : Et toi, Bethléem Ephrata, petite entre les milliers de Juda, de toi sortira pour moi celui qui dominera sur Israël, comme c’est bien dit ! Mais tout cela, mes amis, ça n’a pas fait bouger d’un pouce les gens de Bethleem pour accueillir mon Fils. »

Il y eut un lourd silence, jusqu’à ce qu’un des anges se risque :
« Seigneur, avec tout le respect que je vous dois, votre affaire, elle est vraiment mal fagotée. D’abord, la glorieuse descendance du roi David, c’était il y a mille ans ; cela veut dire quoi aujourd’hui ? Et puis votre Fils, vous auriez pu le faire naître dans une famille princière. Joseph, un charpentier, ce n’est pas mal, mais pour un Fils de Dieu, c’est un peu juste. Et cette Marie, ce n’est qu’une fille toute simple, même si sa cousine est plus dans la haute. Et en plus, vous montez votre affaire pendant un recensement, ce couple se retrouve déraciné à Bethléem où il doit se réfugier dans une étable et votre fils naît dans une mangeoire : c’est le pompon ! Cela ne fait vraiment pas classe.»

Il y eut à nouveau un grand silence, les anges ne savaient trop que dire, quand on entendit des cris joyeux et quatre anges déboulèrent en chantant :
« Venez fêter Noël avec nous ! Glo—–ria in excelcis Deo !
– D’où venez-vous, vous autres ?

– Eh bien, vous en faites une tête. Nous ne savions pas trop où aller pour porter ces faire-part, quand nous sommes arrivés sur une prairie où se trouvaient des bergers gardant des moutons. Les bergers, il est vrai, sont un peu des marginaux, mais, Seigneur Dieu, ce sont aussi vos créatures ! Alors nous nous sommes dit qu’on pouvait bien leur laisser un faire-part. Tout joyeux, ils ont aussitôt voulu voir l’enfant et nous les avons conduits. Et vous entendez : ils font la fête à la crèche »

Ceux qui regardaient bien, virent un petit sourire se dessiner sur ses lèvres de Dieu Et les anges insistaient : « Alors on y retourne pour faire la fête avec eux ? »

Dieu allait répondre quand surgirent encore trois anges qu’on avait oubliés. « Mais d’où sortez-vous ? Tous les autres sont déjà revenus !
– Euh, nous avons été un peu loin,… vers l’Arabie. »

Dieu sursauta :
« En Arabie ? Qu’alliez-vous faire si loin ? J’avais dit que mon Fils venait d’abord pour les brebis perdues de la maison d’Israël.
– Seigneur, pardon, on s’est laissé entraîner sans y penser ! Mais au moment où nous nous sommes dit qu’il fallait rentrer, nous avons aperçu une caravane : des gens très gentils, Seigneur. Ils nous ont dit qu’ils voudraient bien vous connaître, mais ils ne savent pas comment faire. Pourtant ils ont lu dans un livre que lorsqu’ils verraient une étoile, ce serait le signe que Dieu viendrait à eux.
– Ah, dit Dieu, cette étoile, je l’avais complètement oubliée. En effet, je l’ai placée au-dessus de la crèche. Mais personne ne l’a remarquée.
– Mais si, Seigneur, eux, ils l’ont vue, et ils sont même déjà en route, avec des cadeaux drôlement beaux pour votre fils… »

Dieu se mit à sourire car tout cela lui plaisait de plus en plus.
« Mes enfants, ce n’est pas facile à comprendre ce qui se passe. C’est même complètement déroutant. En effet, pour accueillir mon Fils, il ne se trouve pour le moment que des bergers : des marginaux, des gens de rien, qu’on méprise, et … des étrangers. Mais j’en suis certain les autres viendront un jour. Car il faut qu’ils comprennent ce que je veux faire pour tous les hommes, parce que je les aime, tous et chacun d’eux.
En effet, ce que je veux, c’est que mon fils vive une vie d’homme. Pas une vie de prince, mais une vie comme tout le monde, à partager…. Le royaume qu’il annoncera n’est pas le royaume du roi David, c’est très différent, c’est le royaume de l’amour et du service.
Allez vite, mes anges bien aimés, redescendez et faites la fête avec tous ceux qui accueillent mon Fils. Car il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez musettes, faites Noël.… »

Et alors une multitude d’anges se rassembla tout autour de la crèche Et les bergers chantaient :

« Les anges dans nos campagnes ont entendu l’hymne des cieux Et l’écho de nos montagnes redit ce chant mélodieux »

Et les anges répondaient

« Glo———-oria, in excelcis Deo, glo———-oria, in excelcis Deo »

Au loin, les habitants de Bethléem étaient interloqués : « Les bergers font la fête ? Que c’est beau ! Mais que se passe-t-il là-bas ?»
Alors un petit enfant, car il n’y a que les petits enfants qui savent voir ces choses-là, éleva la voix :
« Papa, maman, on va voir ? »

Denis Rosset