La nuit de Josué
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La nuit de Josué, petit berger de Palestine

– Josué, tu dors ?

– Chuuuuut ! Laisse-moi dormir.

– Josué, réveille-toi, car il se passe de grandes choses cette nuit, tu ne peux pas rater cela.

– Mais… qui es-tu ?

Je m’appelle Josué, ou Jésus, selon comment on prononce ce nom, et j’ai 10 ans. Et cette nuit, cela a été extraordinaire. On m’a dit après que c’était Noël. Ce matin-là, justement, mon papa qui est berger, m’a dit :

« Maintenant, tu deviens grand. Dans deux ans, tu nous accompagneras au pèlerinage à Jérusalem. Il est grand temps que tu commences à participer à notre travail de berger. »

Et zut ! Moi qui voulais aller jouer au foot avec mes copains. Mais il n’y avait qu’à obéir. On est berger de père en fils dans la famille, et il faut apprendre le métier. Berger : pas extraordinaire ce métier, où on est regardé un peu de travers. Mieux vaut être tisserand, charpentier, pêcheur même (pas publicain par contre, ce n’est pas bien vu), mais c’est ainsi, on ne choisit pas sa famille.

Le soir venu, papa m’a dit :

« C’est bien, tu vas manger avec nous, puis tu vas rentrer à la maison. Je reste avec les autres, nous passons la nuit avec nos moutons pour bien les garder des bêtes sauvages. »

Là, j’ai un peu râlé :

« Dis, papa, je ne peux pas rester avec vous ? Puisque je suis grand !»

Papa m’a regardé, surpris, puis avec un petit sourire en coin :

« C’est bon, pour cette fois, car demain, c’est Sabbat et il n’y a pas d’école. Mais c’est fatigant tu sais …»

C’est vrai que c’est fatigant quand on a dix ans : j’ai piqué du nez au milieu des bergers, qui rigolaient en me regardant, et papa m’a emporté sous la tente. 

Et voilà qu’à la porte de la tente se tenait un jeune homme tout blanc, que je ne connaissais pas.

« Mais vous sortez d’où ? », j’ai dit

J’allais appeler, mais le jeune homme a mis la main sur ma bouche

« Pas de panique, Josué, je ne suis pas un voleur de moutons. Mais cette nuit est une grande nuit : le Messie est là, qui vient parmi vous. 

– Le Messie ? tu te moques de moi ! Le Messie, je sais qui c’est. C’est le Roi que le Saint (*), béni soit-il, doit nous envoyerpour nous délivrer des romains.

– Bravo, petit Josué, tu as bien appris le catéchisme du Rabbin.

– Mais le Messie, quand il viendra, tout le monde le saura, on lui fera la fête.Evidemment, les gens comme nous, on sera un peu mis de côté. Et puis zut ! Ne me fais pas marcher : Hérode est toujours là et les romains aussi. »

Le jeune homme s’est assis tranquillement au bord de mon matelas,souriant doucement.

« – Le Messie, ce n’est pas tout à fait ce que tu penses. Le Messie, c’est l’envoyé de Dieu. Dieu est en lui, et moi je suis son messager, un ange (**) du Seigneur, venu te l’annoncer. Et ce Messie, il veut être comme toi.

– Comme moi ? Je ne comprends pas ? Ce n’est pas un roi alors ?

– Oui, comme toi : tu as été bébé, tu es né d’une maman, tu as un papa et tu vas grandir, devenir adulte. Eh bien ce Messie, il est aussi né d’une maman, il a un papa sur cette terre, et il vient de naître et il va grandir.

– Mais c’est idiot cela : ce n’est pas un bébé qui va chasser les romains, renverser Hérode, devenir notre Roi ; et il se fera massacrer par Hérode si Hérode apprend cela car il n’a qu’une peur, c’est de se faire renverser. »

L’ange a souri à nouveau

« Allez, n’aie pas peur, petit Josué, viens, allons chercher ton papa et les autres et allons voir le Messie, il t’attend, il vous attend tous. »

Je me suis levé, en me demandant si je ne rêvais pas tout éveillé. Tout cela semblait tellement irréel. Sûr, on allait se moquer de moi.

« Mais messager, ton Messie, il n’est pas allé voir le grand-prêtre ? Il n’est pas né dans un palais à Jérusalem ? Nous ne sommes que des bergers, des impurs … 

– Josué, n’appelle pas impur ce que Dieu considère comme pur. Pour Dieu, tu es aussi précieux que le Grand Prêtre, et c’est vous, les bergers, qui êtes les premiers invités à le rencontrer. Et c’est ainsi mieux, peut-être parce que c’est vous qui comprendrez le mieux tout cela….

– Un bébé ce Messie ? Mais au fait, il s’appelle comment ?

– Il s’appelle comme toi (***). Il est vraiment comme l’un d’entre vous. Mais c’est un beau nom que ton nom, celui du successeur de Moïse, lui qui vous a fait entrer dans ce pays. Car ce nom signifie : « Dieu sauve ». Oui, il vous sauve, mais pas forcément des romains (pourquoi d’ailleurs ?), il vous sauve, cela veut dire que par lui, Dieu vous adopte et vous entrez dans la grande famille de ses enfants. Le Messie, c’est un roi dans nos cœurs, et cela n’a rien à voir avec les rois d’ici. Allez viens. »

Et il y eut dehors tout un brouhaha et papa est arrivé tout ému. 

« Josué, que se passe-t-il ? Une troupe de gens, comme des esprits, nous sont tombés dessus, et ils nous parlent d’un Messie qui est né. Et qui est ce jeune homme à côté de toi ? Il ne t’a pas fait de mal au moins ? Vous êtes qui, vous ? » 

L’ange a éclaté de rire

« Mais Monsieur, pas de panique, ne vous inquiétez pas. Je fais partie de ce groupe d’«esprits » comme vous dites, nous sommes les messagers de Dieu ; et je suis venu annoncer à votre garçon la naissance du Messie, car il est venu pour les petits comme pour les grands, pour les bergers comme pour le grand prêtre et les riches habitants de Jérusalem.

Et votre fils vous expliquera qui est vraiment le Messie, comme je le lui ai dit.

Mais allez vite, laissez là vos moutons, nous allons les garder pour vous, car le Messie vous attend. Voici comment vous le reconnaîtrez, vous trouverez un petit enfant couché dans une crèche »

Papa a demandé, interloqué :

« – Ah bon, vous êtes un ange ? Et il faut aller où ?

– Là, regardez là-haut son étoile et suivez-la, elle vous guidera.

– On n’est vraiment pas bien habillés pour rendre visite à un Messie….

– Allez comme vous êtes, c’est votre cœur qui compte pour lui, pas la belle tenue.»

Alors, j’ai pris mon papa par la main. 

« Allez, papa, on y va. Et puis, on pourrait lui offrir un petit agneau. Et moi, si on passe à la maison, je pourrai prendre mon doudou et le lui donner, puisque ce Messie, c’est pour le moment un bébé, comme moi j’étai. Et quand il sera grand, on fera peut-être des choses ensemble ? »

On est tous partis.On était stupéfaits, on ne comprenait pas bien ce qui nous arrivait et, en même temps, notre cœur était tout brulant, plein d’une espèce d’allégresse qu’on ne savait pas bien expliquer. C’était un peu comme si Dieu marchait avec nous. L’étoile s’est arrêtée au-dessus d’une petite étable : j’ai frappé doucement à la porte et une voix toute douce nous a répondu :

« Mais entrez donc, que c’est gentil d’être venus.»

Nous sommes entrés : il y avait là l’enfant – un tout petit bébé – et sa maman et son papa ; et sa maman nous a fait un beau sourire et son papa nous a dit :

« N’ayez pas peur ; soyez les bienvenus ».

J’ai tendu mon doudou au bébé, et mon papa a balbutié tout ému :

« Ah Madame, Monsieur, des anges nous ont dit de venir et nous voici, pour saluer votre bébé.

Le Messie, nous ont-ils dit. Excusez-nous, mais on a du mal à comprendre tout ce qui nous arrive et en même temps, on est tellement heureux. »

Alors, je me suis rappelé tout ce que mon ange m’avait dit et j’ai souri en serrant très fort la main de papa :

« Attends, Papa, je vais t’expliquer … »

                                                                                              Denis ROSSET

(*) Saint = Dieu. Les juifs ne nomment pas Dieu par respect 

(**)  Ange vient d’un mot grec qui veut dire «messager ».   

(***) Jésus et Josué, c’est le même prénom, selon deux racines linguistiques différentes

Pour la petite histoire, Jésus était charpentier(ce qui était un beau métier très qualifié), quatre au moins des apôtres étaient pêcheurs(peut-être patrons d’une entreprise de pêche)  et Paul était tisserand. Et un des apôtres était publicain, c’est-à-dire percepteur d’impôts au service des romains et ce n’était pas bien vu.