Les Béatitudes (6) – « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés »
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Chers membres des cellules,

 

Après la pause des vacances autour de la fête de tous les saints, nous en arrivons à la quatrième béatitude : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. »

 

Qui donc aurait faim et soif de la justice, sinon celui qui est en train de subir une injustice ? Il attend, de manière vitale, qu’on lui rende justice, qu’il s’agisse des hommes ou de Dieu.

 

Pensons à la parabole du juge inique en Lc 18, 1-8. Elle raconte l’histoire d’une veuve – c’est-à-dire d’une personne qui n’a pas de défenseur – qui venait sans cesse demander à un juge : « Rends-moi justice contre mon adversaire. » (v. 3) Souvenons-nous que le Seigneur a raconté cette parabole à ses disciples pour leur faire comprendre « la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager. » (v. 1) Ainsi, il me semble que cette béatitude est un appel à la prière persévérante et à la supplication ardente pour obtenir le secours divin et finalement la victoire dans la lutte contre notre adversaire. D’ailleurs, les images de la faim et de la soif conviennent particulièrement au registre de la prière.

 

Dans l’Ancien Testament, le roi David est une belle figure de cette quatrième béatitude parce qu’il ne cherche pas lui-même à se rendre justice. Au contraire, il s’en remet totalement à Dieu pour juger entre le roi Saül et lui.

 

Vous pourrez relire à ce sujet le bel épisode rapporté en 1S 24 dans lequel David dit à un moment : « Que le Seigneur soit notre arbitre, qu’il juge entre toi et moi, qu’il examine et défende ma cause, et qu’il me rende justice, en me délivrant de ta main ! » (v. 16)

 

Cet exemple de David peut nous conduire à demander une justice humaine mais en réalité, pour nous, le véritable adversaire n’est pas le roi d’Israël mais « le prince de ce monde [qui] va être jeté dehors » (Jn 12, 31) après avoir été « jugé » (Jn 16, 11). Le disciple du Christ est donc quelqu’un qui espère être rendu juste devant Dieu, être ajusté à lui. En un mot, il espère la justification. Sa faim et sa soif indiquent qu’il ne la cherche pas « par la Loi » mais qu’il l’attend de « la grâce » (cf. Ga 5, 4). Cela nous renvoie vers un autre personnage biblique, Abraham, si nous suivons l’enseignement de saint Paul dans sa lettre aux Romains au chapitre 4. Sa méditation nous montre que c’est parce qu’« Abraham eut foi en Dieu » qu’« il lui fut accordé d’être juste. » (v. 3)

Il est intéressant de noter aussi que, sous la plume de l’évangéliste saint Matthieu, les mots qui expriment le rassasiement n’apparaissent qu’en deux autres endroits : là où les foules sont nourries par le Christ (14, 20 ; 15, 33.37). Ces miracles annoncent le miracle de l’Eucharistie où le Christ ne cesse de se donner en nourriture, ayant « souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de [nous] introduire devant Dieu » (1P 3, 18). L’Eucharistie anticipe et annonce le festin eschatologique qui répondra pleinement à la faim et à la soif que Jésus cherche à éveiller dans nos cœurs par cette quatrième béatitude. Le jugement dernier établira la justice tant espérée.

 

Cela dit, nous devons aussi entendre comment cette béatitude résonne avec tous les appels au droit et à la justice qui traversent l’ensemble de la Bible. Chez les prophètes, Dieu attend de son peuple qu’il respecte la justice en particulier vis-à-vis des « faibles » et des « pauvres », représentés emblématiquement par « les veuves » et « les orphelins » (Is 10, 2).

 

En réalité, ils ne font que rappeler ce que Moïse avait transmis de la part de Dieu :

« C’est la justice, rien que la justice, que tu rechercheras, afin de vivre et de prendre possession du pays que te donne le Seigneur ton Dieu » (Dt 16, 20). A travers cette béatitude, le Seigneur veut réveiller notre sens de la justice et notre sensibilité face aux injustices. La justice dont nous devons avoir faim et soif doit commencer « à devenir réalité dans la vie de chacun lorsque l’on est juste dans ses propres décisions », nous dit le Pape François dans son exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté mais il ajoute qu’elle doit se manifester ensuite « quand on recherche la justice pour les pauvres et les faibles » (Gaudete et exsultate, n° 79). L’inaction face à des rouages injustes serait contraire à l’esprit des Béatitudes.

 

En me tournant vers le Seigneur qui « est justice et pitié » (Ps 114 [115], 5), je vous bénis.