Dans cette parabole, nous jouons le rôle du serviteur qui a travaillé toute la journée : non pas une petite journée, dans une semaine de 35 heures, avec des lois sociales, mais une journée d’esclave, sans horaire, sans salaire et sans remerciements !
On pourrait penser que pour illustrer nos relations avec Dieu, on ne pouvait pas plus mal choisir : Dieu est représenté comme un maître égoïste, exploiteur, sans reconnaissance et indifférent aux personnes. Quant à l’esclave, il est sans dignité, il subit tout
sans se révolter, et il trouve cela normal… parce que c’était la condition des esclaves.
Que veut dire Jésus ? Il est évident qu’il ne nous demande pas d’avoir une spiritualité d’esclave.
Son message est dans la morale de l’histoire : “Vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : Nous sommes des serviteurs normaux, nous n’avons fait que notre devoir.”
Si nous devons ressembler à cet esclave abruti de travail, c’est sur ce point-là, et celui-là seul : quoi qu’il fasse, il ne lui vient jamais à l’idée qu’il puisse avoir des droits.
Les disciples de Jésus savent bien qu’ils ne sont pas des esclaves… il leur a dit : “Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis.”
Ils savent que Dieu est un Père, et ils le prient comme des fils.
Ils savent que Dieu n’est pas tyrannique et indifférent, mais d’une attention constante et pleine de tendresse : “Vous valez mieux que tous les oiseaux du ciel … même les cheveux de votre tête sont tous comptés.”
Et pourtant, sur un point précis, tout se passe exactement comme si nous étions les esclaves d’un maître tyrannique : c’est que jamais nous ne devons croire que nous avons des droits sur lui.
Sa tendresse ne doit pas nous faire oublier qu’il n’a strictement aucune dette envers nous. Il est le Créateur qui nous tient dans l’existence : tous nos dons naturels et tout ce que nous sommes, nous l’avons reçu de lui. Il n’est pas lointain, puisqu’il nous
fait exister à chaque seconde… et il nous fait exister par amour.
Et si on comprend cela, on comprend le message de cette parabole : il devient évident que toute revendication est une monstruosité, et qu’on ne saurait avoir des droits sur Dieu !
Quelle que soit notre fidélité, il ne nous doit rien !
D’autant que notre sainteté, très relative, est un don de son Esprit, auquel nous résistons dans une large mesure.
Imaginons un homme qui se noie… une barque passe… une main se tend et prend la main de celui qui coulait… et lui, à peine la tête hors de l’eau, voilà qu’il commence à revendiquer ses droits !
Dieu pourrait lui dire : “Si tu as la tête hors de l’eau, c’est parce que je te tiens… si je lâche, tu coules.”
Dans ce monde qui n’aime pas Dieu et qui ne fait pratiquement rien pour le servir, la plupart de nos contemporains estiment que s’il nous aimait vraiment, il devrait en faire beaucoup plus !
Il devrait être bien davantage à notre service et à notre botte !
Voilà l’idée qu’on a de Dieu : lui qui nous pardonne comme un Père et nous fait exister malgré nos infidélités… lui qui continue de nous aimer malgré notre indifférence !
Même les pratiquants les plus fidèles ont parfois la tentation de revendiquer, et pas assez souvent le désir de rendre grâces.
En fait, plus nous ferons de progrès dans la fidélité, plus nous aurons de raisons de le remercier. La sainteté, ce n’est pas un cadeau que nous lui faisons… c’est Dieu qui nous fait un cadeau !
JCP
Le serviteur sans droit (Lc 17,7-10)
Dominicales n° 588 - 3 octobre 2010 - 27e dimanche du temps ordinaire (Année C)
Le serviteur sans droit (Lc 17,7-10)