On a toujours beaucoup discuté sur la dimension historique des Evangiles, que ce soit dans l’Eglise ou hors de l’Eglise.
Ceux qui ont écrit les Evangiles étaient des croyants, et ils nous transmettent le message des premiers témoins, que Saint Luc appelle les “témoins oculaires” : ceux qui avaient cru parce qu’ils avaient rencontré Jésus de Nazareth.
On a estimé quelquefois que leur qualité de disciples les rendait suspects.
Mais il faut se rappeler qu’à cette époque ou la presse n’existait pas, on n’écrivait que si l’on avait quelque chose à dire… et on voit mal ce qui aurait pu motiver quelqu’un d’indifférent à mettre par écrit la vie et le message d’un prédicateur galiléen.
Les évangélistes n’écrivent pas pour se faire plaisir, mais parce qu’ils croient que Jésus est le Fils de Dieu, et ils sont prêts à donner leur vie pour cela. Cette foi qu’il veulent nous transmettre a été pour eux une conversion, au plan des idées, comme dans
leur mode de vie.
Et s’ils écrivent, c’est pour que, nous aussi, nous devenions disciples du Christ : c’est donc cette double conversion qu’ils nous proposent.
Pierre avait dit à Jésus : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.» Cette foi était vraiment une conversion et une grâce de Dieu : «Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, lui dit Jésus, c’est mon Père qui est dans les Cieux.» La foi de
Pierre est un don de Dieu : elle est inspirée.
Et pourtant, dans l’Evangile de ce jour, on découvre que cette foi est très imparfaite et qu’elle demande encore bien des conversions.
Voilà que Jésus dit à Pierre : «Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.» Un reproche d’autant plus sévère qu’il contraste avec ce qu’il disait peu de temps avant
A propos de l’historicité des Évangiles, on ne peut pas douter de l’authenticité de cette parole de Jésus : une telle parole ne s’invente pas.
On ne voit pas comment un évangéliste, quelques décennies plus tard, aurait pu inventer et prononcer une telle condamnation de Pierre, qui était devenu le chef visible de l’Eglise et le garant de sa foi !
Dans ce récit, Pierre a la foi… et, en même temps, il n’a pas la foi ! Il croit que Jésus est le Messie… mais il a une fausse idée du Messie.
Et nous, qui sommes aujourd’hui ses disciples, notre foi est-elle meilleure que celle de Pierre ?
Nous croyons en un Messie souffrant et humilié… c’est un point qui ne pose plus de problème à notre foi. Mais l’idée de marcher à sa suite nous paraît beaucoup moins évidente : «Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa
croix et qu’il me suive.» Nous avons presque tous rencontré des personnes qui disent avoir perdu la foi après avoir connu des drames et des épreuves.
Il ne s’agit pas de se faire souffrir pour le plaisir. Aucun être normal n’aime la souffrance. On ne fait pas plaisir à Dieu en se faisant du mal ; et nulle part dans l’Evangile, on ne voit Jésus inventer des pénitences.
Le vrai problème c’est que toute existence, et en particulier tout amour, suppose des choix, et donc des renoncements.
On ne peut pas aimer les autres, on ne peut pas aimer Dieu par dessus tout, sans renoncer au péché. Et renoncer au péché est un sacrifice… ce que Paul appelle un sacrifice saint : “Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre
personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable.” (Rm.12,1) C’est l’amour véritable : c’est notre réponse à la tendresse de Dieu. D’ailleurs, tout amour véritable va jusqu’au don de soi.
JCP